Lors d’une table ronde organisée par le magazine Pharmaceutiques le 27 janvier dernier, trois spécialistes ont débattu sur l’épineuse question des perturbateurs endocriniens, et de leurs possibles répercussions sur la santé humaine. Bilan et perspectives.
Pesticide, bisphénol, paraben : la prolifération des substances chimiques dans l’environnement n’est pas sans conséquences sur les organismes vivants, même si les impacts réels sont encore méconnus. En réalité, le lien direct entre les perturbateurs endocriniens et la santé humaine est très difficile à établir. « Il faut notamment pouvoir démontrer qu’ils sont à l’origine d’un quelconque dérèglement hormonal qui a lui même causé l’apparition d’une pathologie spécifique, comme un cancer ou un diabète », explique Robert Barouki, professeur de biochimie et directeur de l’unité Inserm 1124 à l’Université de Paris.
Autre difficulté évoquée : il peut y avoir un temps de latence parfois très long entre la période d’exposition et la survenue des premiers symptômes. « Deux molécules apparemment inoffensives peuvent avoir un effet synergique dévastateur bien des années plus tard, de façon assez imprévisible », rappelle Jean-Baptiste Fini, chargé de recherches au CNRS.
Un risque sanitaire avéré ?
Selon certains experts, la relation de cause à effet est plausible, mais elle n’est pas prouvée. « Il apparaît que le nombre hypothyroïdiens congénitaux a augmenté en France. Sur une période de vingt à trente ans, les facteurs environnementaux sont clairement pointés du doigt. Plusieurs études épidémiologiques montrent que la présence de certaines molécules ou la proportion d’hormones chez la femme enceinte vont influencer le quotient intellectuel de l’enfant, avec dans la plupart des cas une perte moyenne de l’ordre de quatre points », assure Jean-Baptiste Fini.
La tendance ne serait pourtant pas irréversible. « La ville de Tokyo a réduit le taux de particules dans l’air de 44 %. Les résultats observés sont spectaculaires. En six ans, la mortalité cardio-vasculaire a baissé de 11 %. La mortalité par cancer pulmonaire a également diminué de 20 % », détaille Pierre Souvet, cardiologue et président de l’Association santé environnement France (ASEF).
Il faudra mieux sensibiliser les professionnels de santé. Pierre Souvet
Améliorer la connaissance
A n’en pas douter, l’identification de toutes les substances à risque sera longue et fastidieuse, mais le défi de la connaissance sera essentiel. « Les progrès de la science sont encourageants, en particulier sur le plan toxicologique. Au niveau épidémiologique, les cohortes seront particulièrement utiles pour établir une relation entre une exposition et un impact sanitaire, notamment via la biosurveillance », affirme Robert Barouki. Selon lui, les indispensables travaux de recherche à mener nécessiteront cependant des investissements financiers conséquents.
Une autre manière de penser la régulation semble également s’imposer. « Le principe de la mise sur le marché doit être revisitée, dans le but de présenter la substance chimique la plus saine possible, dès la phase d’enregistrement. Pourquoi ne pas calquer le modèle d’évaluation de ces molécules sur celui des médicaments ? », s’interroge Jean-Baptiste Fini.
Des propositions concrètes
Pour inverser la tendance, plusieurs pistes concrètes sont actuellement à l’étude. Le Parlement européen entend notamment développer des tests pertinents pour évaluer plus précisément l’impact sanitaire des perturbateurs endocriniens. La France a également pris le problème très au sérieux. Dans le cadre de la SNPE*, le gouvernement a chargé l’ANSES** de lui fournir une liste exhaustive des perturbateurs « présumés ». « Nous allons travailler sur le modèle des substances cancérogènes », précise Jean-Baptiste Fini. A plus large échelle, l’enjeu consistera à commercialiser les matières les moins toxiques possibles, à renforcer les contrôles, mais aussi à mieux encadrer la substitution des produits jugés suspects. A plus longue échéance, l’intelligence artificielle permettra sans doute d’améliorer la réactivité des décisions et la recherche prédictive.
Dans l’immédiat, plusieurs actions spécifiques devront être initiées. « Il faudra mieux sensibiliser les professionnels de santé. La thématique santé et environnement peut notamment faire partie des missions de prévention des futures CPTS*** », estime Pierre Souvet. De la même manière, les entreprises et l’Education nationale seront également des vecteurs fondamentaux de l’information. « La population aura besoin de données fiables, malgré les zones d’incertitudes, pour conduire le changement », confirme Robert Barouki.
(*) Stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens – SNPE.
(**) Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail – ANSES.
(***) Communautés professionnelles territoriales de santé – CPTS.