Faute d’accord, le Ségur de la santé a été prolongé de quelques jours. Si la question des salaires polarise les débats, certains sujets stratégiques ne devront pas être relégués au second plan, à commencer par la revalorisation des carrières paramédicales.

Le Ségur de la santé n’est pas tout à fait terminé. Initiée le 25 mai, cette vaste concertation devait s’achever le 3 juillet. Faute d’accord, la synthèse des travaux a finalement été repoussée de quelques jours. Les parties prenantes ont convenu d’un délai supplémentaire pour parvenir à un accord sur l’épineuse question des salaires. Quelle que soit l’issue des discussions, la primeur des annonces devrait être réservée au président de la République. Elles pourraient d’ailleurs intervenir le 14 juillet, date de sa prochaine allocution à la nation. La semaine dernière, il livrait quelques indices sur le contenu de ce discours, à savoir « un investissement de 15 à 20 milliards d’euros dans la santé » et « plusieurs milliards » pour « améliorer la rémunération des personnels médicaux et non médicaux ».
Désormais piloté par Jean Castex, le nouveau gouvernement est attendu au tournant. Le Premier ministre devra mener à bien une négociation serrée, tant les positions semblent figées. Ambitieux, il veut néanmoins boucler son premier dossier sensible « dès cette semaine ».

Des propositions jugées insuffisantes

Malgré les efforts consentis, la dernière offre d’Olivier Véran peine à convaincre. Le ministre de la Santé promet une enveloppe de 6,4 milliards d’euros* pour revaloriser les salaires des professions paramédicales et médico-techniques, soit une rallonge de 400 millions par rapport à sa première proposition. Qu’importe sa dimension historique, cette somme est jugée insuffisante par les partenaires sociaux. Selon la plupart d’entre eux, elle ne permettra pas de satisfaire aux revendications initiales, à savoir une hausse de 300 euros nets par mois. Pour certains syndicats, l’intégration du secteur privé pourrait consommer un tiers des crédits alloués, réduisant de fait le potentiel d’augmentation des salariés de l’hôpital public. D’autres syndicats s’inquiètent également de la ventilation de cette dépense. Plusieurs observateurs estiment que le gouvernement s’apprête à répartir ses deniers sous la forme d’une revalorisation générale des salaires, d’une hausse ciblée sur certaines professions et de mesures d’intéressement.

Une chose est sûre : les fonds débloqués ne seront pas immédiatement versés aux principaux intéressés. Comme un symbole, la refonte de la grille indiciaire de la fonction publique hospitalière ne devrait pas être amorcée avant 2022.

Le chantier de la formation

L’argent ne sera pas le seul nerf de la guerre. La revalorisation des carrières sera tout aussi décisive. Les propositions les plus concrètes en la matière émanent de la Fédération de l’hospitalisation privée, qui préconise un plan massif de formation initiale et continue, dont elle chiffre le montant à deux milliards d’euros. Pour couvrir les besoins des établissements de santé du pays, 34 000 infirmières et 24 000 aides-soignantes devront être rapidement formées, soit le double des capacités actuelles. La FHP identifie également plusieurs mesures concrètes visant à restaurer l’attractivité des métiers paramédicaux, comme l’inclusion de nouveaux actes et de nouvelles missions dans les référentiels d’activité, la création de passerelles entre différents métiers par le biais de la formation ou encore la reconnaissance professionnelle et financière des efforts consentis par les professionnels pour acquérir de nouvelles compétences et exercer de nouvelles missions. Dans cette même optique, la FHP plaide en faveur d’une simplification des processus d’évolution et d’accession aux qualifications et aux diplômes, prenant notamment pour exemple la simplification du système de validation des acquis des infirmières pour accéder au statut d’Ibode. En l’état, le gouvernement n’a toujours pas pris position sur ces recommandations.

(*) Les médecins, les internes et les étudiants en santé bénéficieront d’une enveloppe de 600 millions d’euros, dont les deux-tiers pour les seuls PH, portant ainsi le montant total de l’investissement consenti par le gouvernement pour revaloriser les salaires hospitaliers à sept milliards.

Selon la Drees, il y avait 744 307 infirmiers en poste au 1er janvier 2020, soit une hausse de 3 % par rapport à l’année précédente.

Au-delà de cette seule variation, les données statistiques disponibles permettent de dégager les grandes tendances professionnelles du moment. Majoritairement exercé par des femmes (644 359), le métier d’infirmier se pratique essentiellement à l’hôpital (479 836), très loin devant les autres formes de salariat (132 896) et l’activité libérale ou mixte (131 575).

Autre caractéristique notable : la pyramide des âges est quasi identique, quels que soient les sexes et les statuts. Les membres de la profession ont 45,3 ans, en moyenne.

Les trois spécialités les plus représentées sont la puériculture (23 054), l’anesthésie (11 440) et le bloc opératoire (8 522).

En matière d’implantation géographique, l’Ile-de-France (121 159), l’Auvergne-Rhône-Alpes (94 967) et l’Occitanie (73 864) sont les trois régions les mieux loties.

Le premier bilan officiel n’a rien de flatteur. Au 22 juin dernier, 14 signalements avaient été effectués via StopCovid, une application mobile sensée retracer les contacts avec des patients porteurs du nouveau coronavirus via un smartphone.

Trois semaines après sa mise en service, le gouvernement dénombrait 1,9 million de téléchargements, mais aussi 460 000 désinstallations. Secrétaire d’Etat au Numérique et fervent défenseur du projet, Cédric O attribuait ces chiffres à une double réalité : une baisse de la prévalence de l’épidémie et une diffusion limitée de ce dispositif de traçage numérique, qui ne recensait pas plus de 68 utilisateurs « contaminés »*. Controversée et peu populaire, cette solution technologique s’avère par ailleurs très coûteuse.

Les frais de maintenance, d’hébergement et de développement sont estimés entre 80 000 et 180 000 euros par mois. Dès la rentrée de septembre, la facture mensuelle oscillera entre 120 000 et 200 000 euros.

(*) Le déclenchement d’une notification d’alerte est conditionné par un contact rapproché, soit moins d’un mètre pendant plus de quinze minutes, entre un utilisateur sain et un utilisateur « contaminé », qui a préalablement renseigné une preuve de son diagnostic dans le système.

Les dernières prévisions de l’exécutif sont alarmistes : le déficit de la Sécurité sociale devrait atteindre 52,2 milliards d’euros en 2020… au mieux !

Les investissements pressentis dans le cadre du « Ségur de la santé » pourraient encore alourdir la facture, tout comme la création d’une cinquième branche, destinée à financer la perte d’autonomie et le grand âge. Prise en tenaille entre la baisse des recettes et la forte hausse des charges, la branche maladie pourrait afficher un déficit de 31,1 milliards, selon la CCSS*.

Achats de masques et de matériels, primes et heures supplémentaires, arrêts de travail, tests de dépistage… Le coût des mesures exceptionnelles liées à la crise sanitaire est estimé à 12 milliards d’euros, en partie compensé par une diminution notable des dépenses de soins en ville, évaluée à 4 milliards.

Pour absorber le choc, le gouvernement entend notamment transférer plus de 130 milliards d’euros de passif vers la CADES**, dont la durée de vie serait prolongée jusqu’en 2033.

(*) Commission des comptes de la Sécurité sociale – CCSS.
(**) Caisse d’amortissement de la dette sociale – CADES.

Dans son rapport « charges et produits », l’assurance maladie formule trois propositions pour « inscrire la télémédecine dans la durée ». Parmi elles, citons notamment le « maintien transitoire » des actes de télésoin pour les orthophonistes, les sages-femmes, les infirmiers ou les masseurs-kinésithérapeutes.

Créée de manière dérogatoire pour répondre aux exigences de la crise sanitaire, cette autorisation spéciale pourrait être prolongée jusqu’à la fin de l’année, voire au-delà. L’assurance maladie préconise également de maintenir le remboursement intégral des téléconsultations pendant « au moins une année ». Elle recommande par ailleurs « un assouplissement maîtrisé » de la règle du « déjà vu », qui impose une consultation présentielle préalable dans un délai de douze mois pour justifier la gratuité de la prise en charge à distance. Selon la Cnam, 4,52 millions de téléconsultations ont été comptabilisées au mois d’avril, contre 25 000 en décembre dernier. Si les proportions ont quelque peu diminué depuis le déconfinement, leur fréquence se maintient à un niveau élevé, avec une moyenne de 650 000 actes par semaine.

Dans un rapport publié le 22 juin*, l’OCDE pointe les faiblesses du secteur de l’aide aux personnes âgées. Sous-effectif chronique, mauvaises conditions de travail, articulation quasi-inexistante avec les autres acteurs de la prise en charge : la France fait bien pâle figure dans ce domaine.

Elle compte 2,3 salariés pour 100 citoyens de 65 ans et plus, soit deux fois moins que la moyenne des 28 autres pays analysés. Pour répondre à une demande grandissante, l’organisation internationale préconise une hausse des effectifs de 90 %… d’ici à 2040. Outre la très forte exposition ressentie à des facteurs de risque physiques ou mentaux, l’OCDE insiste également sur la faiblesse des salaires et la prééminence du temps partiel, qui se traduisent inévitablement par des « difficultés de recrutement ». Elle regrette par ailleurs « une coordination insuffisante avec le reste du système de santé ». Une faiblesse structurelle qui, selon ses experts, a pour conséquences directes un suivi détérioré des maladies chroniques multiples et des hospitalisations inutiles.

(*) « Who cares ? Attracting and retaining care workers for the elderly », Organisation de coopération et de développement économiques (juin 2020) : https://www.oecd-ilibrary.org/fr/social-issues-migration-health/who-cares-attracting-and-retaining-elderly-care-workers_92c0ef68-en

Les principales forces vives du secteur de la santé ont été conviées à une vaste concertation pour « tirer les leçons de la crise sanitaire » et « préparer l’avenir ». Tandis que la reconnaissance des soignants sera l’un des principaux axes de la discussion, le faible niveau de représentation des professions paramédicales suscite l’incompréhension et l’indignation.

Deux mois après le discours de Mulhouse, la grande réforme de l’hôpital se dessine. Installé le 25 mai, le « Ségur de la santé » réunira plus de 300 acteurs, chargés d’analyser les forces et les faiblesses d’un système de soins mis à rude épreuve par la crise du Covid-19. Quatre axes stratégiques ont été identifiés : transformer les métiers et revaloriser ceux qui soignent ; définir une nouvelle politique d’investissement et de financement au service des soins ; simplifier radicalement les organisations et le quotidien des équipes ; fédérer les acteurs de la santé dans les territoires au service des usagers. Coordonnés par Nicole Notat, l’ex-secrétaire générale de la CFDT, les travaux engagés devraient déboucher sur des propositions concrètes dans les prochaines semaines. Les premières conclusions sont attendues pour la mi-juillet.

Un chantier prioritaire

Dans son discours inaugural, le Premier ministre a été clair. Il veut aller « plus vite » et « plus loin » dans les réformes, sans pour autant déroger aux grands principes du plan « Ma Santé 2022 ». Une logique qui n’exclut pas, d’après lui, la mise à disposition de moyens nouveaux pour l’hôpital. « Certains niveaux de rémunération n’étaient pas à la hauteur d’un tel engagement. » Edouard Philippe l’a confirmé : la reconnaissance des soignants sera l’un des principaux chantiers de cette concertation.
Outre la « revalorisation significative » des rémunérations, l’évolution des métiers et des carrières sera un sujet central, notamment à l’hôpital. Formation, coopération entre professionnels, pratiques avancées, compétences : les problématiques liées aux ressources humaines ne manquent pas. Les questions du temps de travail et des statuts ne pourront pas être éludées. « Il faudra adapter les conditions d’exercice à la variété des parcours, mais aussi reconnaître l’engagement dans les activités non cliniques, de recherche, d’enseignement ou de management. »

Un financement à revoir

En novembre dernier, le gouvernement avait débloqué 15 milliards d’euros pour l’hôpital public. Parmi d’autres mesures, il avait notamment annoncé la reprise progressive du tiers de la dette hospitalière accumulée, soit dix milliards. Pour renforcer l’autonomie des établissements de soins, un nouveau plan d’aide à l’investissement de proximité devrait être officialisé à l’issue du « Ségur de la santé ». Selon le Premier ministre, une partie des fonds mobilisés devrait même être fléchée vers les territoires pour mieux répondre aux besoins spécifiques de la population.
Autre réforme de fond : le mode de financement des hôpitaux sera certainement revisité. Au-delà de la psychiatrie, des urgences et des soins de suite, la tarification à la qualité des soins prendra progressivement le pas sur la tarification à l’activité, dont la logique inflationniste s’avère coûteuse pour les finances publiques et frustrante pour les soignants. « La T2A ne doit plus être l’unique boussole du financement des activités hospitalières. Essayons de trouver un système plus intelligent et moins ancré sur la nécessité de multiplier les actes pour dégager des recettes », soulignait Edouard Philippe.

Des enjeux connexes, mais déterminants

Relégué au second plan dans cette concertation, le secteur libéral sera néanmoins associé aux réflexions sur la territorialisation des soins. L’enjeu consiste à accroître les coopérations entre la ville, l’hôpital et le médico-social, mais aussi entre le public et le privé. Le Premier ministre veut « libérer les initiatives » et « placer les patients au centre du système de santé », à travers deux mesures clés : la poursuite du déploiement des CPTS (1) et le renforcement de la prise en charge des personnes âgées à domicile. A plus large échelle, la crise des EHPAD appelle une profonde réforme du financement et de l’organisation de la filière de la dépendance, qui fera d’ailleurs l’objet d’une loi thématique au cœur de l’été.
Selon Edouard Philippe, l’intégration des nouvelles technologies devrait également faciliter la transition vers une médecine de parcours. Outre le développement de la télémédecine, il compte sur un partage plus large des données de santé, notamment hospitalières, pour améliorer la connaissance de la maladie et faciliter le suivi des malades. La mise en place d’un espace numérique de santé est plus que jamais d’actualité.

Un oubli de taille

Si la philosophie est claire, la méthode interroge. Absentes des deux groupes de travail, les principales organisations paramédicales crient au scandale. Faute de mieux, il appartiendra à l’UNPS à la FNESI, à la FFPS et à l’ONI de défendre leurs intérêts. Une bien maigre représentation au regard des enjeux liés à la revalorisation des salaires et des métiers, attendue de pied ferme par 720 000 infirmiers et 240 000 aides-soignants, qui n’auront pas ménagé leurs efforts au cours des derniers mois, souvent au péril de leur propre santé. « Au-delà de la nécessaire reconnaissance financière, nous demandons une reconnaissance de la contribution réelle des infirmiers à l’offre de soins. Nous appelons également les pouvoirs publics à engager la révision des textes qui encadrent l’exercice de la profession dans les plus brefs délais. Les infirmiers doivent pouvoir bénéficier d’une véritable logique de carrière, avec un suivi de l’évolution de leurs compétences et de leurs souhaits d’orientation et/ou de spécialisation. » Saine et légitime, la position ordinale ne souffre d’aucune contestation. Sera-t-elle entendue par les pouvoirs publics ou sera-t-elle noyée dans le flot des multiples revendications hospitalières ? Réponse dans quelques semaines.

(1) Communauté professionnelle territoriale de santé – CPTS.

Entre le 1er mars et le 24 mai, 30 230 cas de contamination au nouveau coronavirus chez des professionnels de santé ont été signalés par 1156 établissements de soins publics et privés, implantés dans dix-huit régions.

Précision méthodologique : il s’agit soit d’une infection confirmée par un test PCR, soit d’une infection reconnue comme probable par la « cellule Covid-19 » ou l’infectiologue référent de la structure hospitalière concernée. Selon Santé publique France, les infirmiers (28,5 %) et les aides-soignants (24,1 %) concentrent plus de la moitié des cas, loin devant les médecins (9,6 %) et les internes (3,5 %). Les personnels non soignants représentent également une part non négligeable de ce total (10,3 %).

Les trois régions les plus touchées sont l’Ile-de-France (9201 cas), les Hauts-de-France (4270 cas) et le Grand Est (4070 cas).

Sur la période observée, pas moins de seize décès liés au Covid-19 ont été recensés dans ces établissements de santé, dont quatre aides-soignants.

En Bretagne, 1025 étudiants en soins infirmiers et 682 élèves aides-soignants vont bénéficier d’une prime forfaitaire de 500 euros allouée par le Conseil régional, via les crédits du PRIC* et de l’ARS.

Cette aide exceptionnelle récompensera leur engagement auprès des personnels soignants durant leur période de stage. Complémentaire des indemnités et des bourses attribuées par la région, ce « bonus » sera versé par leur institut de formation au cours du mois de juin. Une condition toutefois : les étudiants éligibles auront dû faire partie d’un service engagé dans la lutte contre la pandémie ou auront dû être redéployés pour renforcer les effectifs d’un établissement hospitalier, d’un établissement médico-social ou d’un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes pendant au moins quatre semaines… entre le 1er avril et le 31 mai.

(*) Pacte régional d’investissement dans les compétences – PRIC.