Protéger, dépister et isoler : telle sera la stratégie du gouvernement, qui n’hésitera pas à durcir le ton si les principaux indicateurs de santé publique venaient à se dégrader d’ici au 2 juin. Au regard de l’immunité collective acquise, la menace d’une seconde vague épidémique n’est pas à exclure…
Il s’agit d’une étape cruciale dans la gestion de l’épidémie. A compter du 11 mai, le déconfinement sera total, exception faite de Mayotte, où la diffusion du virus n’est pas totalement maîtrisée. Sur la corde raide, l’Ile-de-France bénéficie d’un sursis. « Le nombre de personnes contaminées diminue, mais reste plus élevé que prévu. Cette réalité épidémiologique dans une région aussi peuplée, où les interactions sont si nombreuses, nous impose une discipline renforcée », précisait Edouard Philippe, le 7 mai dernier. Des mesures restrictives ont donc été décidées, en particulier dans les transports en commun, probable vecteur de diffusion du Covid-19. En conséquence, le port du masque sera obligatoire dès l’âge de onze ans, sous peine d’être sanctionné d’une amende de 135 euros. Aux heures de pointe (6h30-9h30 ; 16h-19h), les voyageurs seront également tenus de justifier leurs déplacements. Ils devront impérativement disposer d’une « attestation de leur employeur » ou d’un « motif impérieux » pour échapper à la verbalisation. Un durcissement des contraintes n’est pas à exclure « si la distanciation physique n’était pas appliquée et si la situation ne s’améliorait pas », a prévenu le Premier ministre.
Trois indicateurs clés
Un temps évoqué pour des motifs de sécurité, les personnes âgées, handicapées et les malades chroniques ne seront finalement pas mis au ban de la société, y compris sur les terres franciliennes. Edouard Philippe a néanmoins lancé un appel à la vigilance et à la responsabilité : « Les plus fragiles d’entre nous devront continuer à observer des règles strictes, comparables à celles du confinement. Toutes les précautions devront être respectées. »
Outre Mayotte et l’Ile-de-France, trois autres régions figuraient en rouge sur la nouvelle carte du déconfinement, à savoir les Hauts-de-France, la Bourgogne-Franche-Comté et le Grand Est. Sur ces territoires, comme dans le reste du pays, trois indicateurs clés seront analysés quotidiennement : le niveau de circulation du virus, le taux d’occupation des lits de réanimation et la capacité à réaliser des tests virologiques en nombre suffisant. Pour les deux premiers « marqueurs », le résultat agrégé sera obtenu à partir de la moyenne des sept derniers jours.
Au regard des multiples incertitudes, le processus de déconfinement sera « progressif », indiquait Edouard Philippe. Il est également soumis à conditions. Un premier bilan sera effectué le 2 juin, avec la levée hypothétique de certaines restrictions (attestations obligatoires, circulation dans un rayon de plus de 100 km…) et la réouverture potentielle de certains établissements (bars, restaurants, cinémas, lycées…). Au-delà de 3 000 nouveaux cas par jour, des interdits supplémentaires sont à craindre…
Trois grandes priorités
Pour réussir son pari, l’exécutif a retenu trois grandes priorités : protéger, dépister et isoler. La prévention du risque reposera essentiellement sur les gestes barrières et la distanciation sociale. Le port du masque sera également recommandé, voire obligatoire. En matière de dépistage, le gouvernement dit être en mesure de réaliser 700 000 tests virologiques par semaine. Un seuil critique qui tient compte du potentiel de contamination (1 000 à 3 000 nouveaux cas chaque jour) et du nombre moyen de contacts attendus par individu (environ 25). Les patients diagnostiqués positifs au nouveau coronavirus seront placés à l’isolement (volontaire), soit chez eux soit dans un hôtel réquisitionné par l’Etat, si la quatorzaine présente un danger pour l’un des occupants du foyer. « Cette stratégie doit nous permettre de contenir la propagation du virus et de restaurer les capacités initiales des services de réanimation », rappelait Olivier Véran.
En toile de fond, le traçage numérique fera le lien entre les différents niveaux d’action envisagés. Deux dispositifs joueront un rôle décisif : Contact Covid et Stop Covid. Le premier doit faciliter l’identification et la documentation des contacts du malade dans son cercle familial et dans son entourage proche, avec le concours des médecins généralistes, de l’assurance maladie, des ARS et de Santé publique France. Le second, plus controversé, élargira le champ des interactions à ses moindres déplacements via une application mobile, en cours de développement. Pour des raisons technologiques et politiques, l’outil ne sera pas opérationnel avant le 2 juin, au mieux. Il est globalement perçu comme une menace pour la vie privée et les libertés individuelles.
Un premier bilan positif, mais…
Au terme d’un périple de huit semaines, l’heure du premier bilan a sonné. Contraignant, le confinement aura cependant été efficace. Une étude de l’EHESP* affirme que 60 000 vies humaines ont pu être sauvée entre le 17 mars et le 15 avril, hors EHPAD. Sans cette « assignation à domicile », 105 000 lits de réanimation auraient été requis au 20 avril, soit dix fois plus que la disponibilité maximale des établissements de santé, qui avait pourtant doublé depuis le début de l’épidémie. Autres chiffres significatifs : 590 000 hospitalisations et 140 000 admissions en soins intensifs ont pu être évitées. Selon une étude épidémiologique menée par des chercheurs de l’Institut Pasteur et du CNRS*, le confinement aura eu un impact positif sur le R0***, soit le nombre de personnes contaminées par chaque malade, qui a chuté de 84 %.
L’arbre ne doit pas cacher la forêt. A la date du 11 mai, près de 6 % des Français devraient avoir été infectés par le SARS-CoV-2, avec une proportion toutefois plus importante en Ile-de-France (12,3 %) et dans le Grand Est (11,8 %). L’Institut Pasteur est formel : l’immunité collective nécessaire est actuellement estimée à 70 %. « Des efforts importants devront être maintenus dans la durée pour éviter une reprise de l’épidémie », prévient la fondation privée à but non lucratif. La mise en garde est explicite. Le gouvernement semble l’avoir entendue, en adoptant des dispositions conformes aux recommandations scientifiques. Seront-elles suffisantes pour autant ? Une chose est sûre : en l’absence d’un vaccin et/ou d’un traitement, il faudra apprendre à vivre avec le virus pendant de longs mois encore.